C’est lors de la visite officielle organisée à Pékin en octobre 2016 à l’occasion du 45ème anniversaire des relations diplomatiques bilatérales que la Belgique et la Chine ont signé un Traité sur l’extradition. Le Traité facilite et légalise les extraditions afin de ‘promouvoir une coopération efficace entre les deux parties dans la lutte contre la criminalité’. Le projet de loi portant assentiment au Traité a ensuite suivi la procédure législative classique, sans remous notables, pour être finalement adopté (76 votes en faveur pour 61 abstentions) par la Chambre des représentants en novembre 2018. Le Traité ne prendra néanmoins tous ses effets qu’après la sanction et la promulgation du texte législatif par le Roi, et sa publication au Moniteur belge. La Belgique s’apprête ainsi à rejoindre d’autres Etats membres de l’Union européenne qui ont adopté des traités similaires avec la Chine, à savoir la Bulgarie, la Roumanie, la Lituanie, l’Espagne, le Portugal, la France, et l’Italie.
Notons que, depuis plusieurs années, la Chine cherche activement à renforcer les mécanismes de coopération judiciaire internationale à sa disposition. L’objectif principal de l’activisme diplomatique exercé par Pékin en la matière est d’assurer le succès de la politique nationale de lutte contre la corruption et d’éviter la fuite à l’étranger des individus visés. D’ailleurs, à l’occasion du Congrès national du Parti communiste de 2017, le Président Xi Jinping déclara en ce sens que : ‘peu importe où les fugitifs s’enfuient, nous ferons tous les efforts possibles pour les arrêter et les traduire devant la justice’. Ce serait, selon les données de la Commission nationale de supervision, plus de 4500 fugitifs qui auraient été rapatriés en Chine, ainsi que plus de 10 milliards de yuans récupérés par les autorités dans le cadre des opérations ‘Sky Net’ et ‘Fox Hunt’.
Du point de vue de la Belgique, l’argument principal en faveur de ce Traité est sans doute à trouver dans le contexte d’interdépendance économique croissante entre la Chine et le continent européen, bien illustré par le projet des nouvelles Routes de la Soie. La mobilité des personnes, produits, et services peuvent, en effet, contribuer à l’augmentation de la criminalité transnationale organisée, à l’évasion et la fraude fiscale, ainsi qu’à la cybercriminalité. De plus, il pourrait aussi être argumenté – même si l’auteur doute du bien-fondé d’une telle justification – que ce Traité permettrait d’améliorer la protection des droits de l’homme et des principes relatifs au fonctionnement de la justice pénale en Chine. Enfin, il ne faut pas sous-estimer le bénéfice diplomatique d’un tel Traité à un moment où bon nombres d’Etats européens continuent d'adopter conjointement une attitude de méfiance envers la présence grandissante de la Chine sur le vieux continent avec une attitude positive vis-à-vis des investissements directs chinois.
Au-delà de l’utilité manifeste d’un tel Traité pour faciliter la coopération judiciaire bilatérale, il semble néanmoins nécessaire de se poser la question du caractère judicieux d’un tel accord ; ce, pour deux raisons principales.
Premièrement, l’adoption d’un tel Traité par la Belgique va à contre-courant des conclusions auxquelles sont arrivés d’autres Etats, dont l’Australie, qui ont récemment décidé, suite à une mobilisation parlementaire et médiatique forte, de ne pas poursuivre la conclusion de Traités similaires. En Nouvelle-Zélande, la Cour d’Appel a, quant à elle, bloqué en Juin 2019 la procédure d’extradition vers la Chine d’un individu suspecté de meurtre ; jugement qui s’est avéré extrêmement critique envers l’état actuel du système judiciaire Chinois. Celui-ci a, en effet, été décrit comme n’offrant pas les garanties nécessaires de procès équitable et qui, par ailleurs, n’assure pas non plus l’indépendance du pouvoir judiciaire. Plus proche de chez nous, la Cour Suprême de Suède a rendu un arrêt en juillet 2019 refusant l’extradition d’un ancien officiel chinois, eu égard au risque de poursuites à caractère politique et de mauvais traitements auxquels ce dernier pourrait être confronté. Il s’agit là d’une décision inédite provenant d’un pays membre du Conseil de l’Europe, qui adhère par conséquent, tout comme la Belgique, à la Convention européenne des droits de l’homme.
Deuxièmement, ce Traité d’extradition incarne de façon manifeste la tension structurelle qui existe entre l’assurance d’une justice pénale transnationale efficace et la protection des droits fondamentaux. A cet égard, il est utile de rappeler que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne impose à présent aux Etats membres d’offrir les mêmes garanties de protection à la personne réclamée pour une extradition vers un Etat non membre de l’Union européenne que celles prévues dans le cadre de la coopération judiciaire entre Etats membres. A cet effet, le Traité entre la Belgique et la Chine identifie un certain nombre de motifs obligatoires de refus d’extradition, prévus à l’Article 3. Le Traité rejette ainsi toutes procédures d’extradition pour motif d’infraction politique; les extraditions aux fins de poursuivre ou punir une personne pour des considérations de sexe, de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques ; les extraditions pouvant mener à une condamnation à la peine capitale ; ou encore celles qui pourraient soumettre la personne réclamée à des actes de torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les limites de telles garanties – qui reposent entre autres sur l’engagement de la Partie requérante de ne pas s’adonner à de telles pratiques- ont néanmoins été mises en avant par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que par d’autres juridictions. Ainsi, la Cour d’Appel néo-zélandaise a contesté la valeur des assurances de la Chine de respecter les droits fondamentaux d’un suspect après son transfert en cas d’extradition. Même si des assurances diplomatiques devaient engager la responsabilité morale et politique de la Chine, il serait potentiellement très difficile pour la Belgique de vérifier qu’elles soient honorées en pratique.
Dans un monde où les frontières sont de plus en plus perméables, où les sociétés sont interconnectées, la Belgique fait face, de façon récurrente, à un dilemme dans l’exercice de la coopération transnationale en matière pénale. Comment adresser de façon efficace une criminalité qui ne connait pas de frontières tout en se conformant et en promouvant une approche de la justice pénale respectueuse des droits de l’homme ? Qu’il s’agisse d’un Traité sur l’extradition avec la Chine ou avec d’autres Etats, une réflexion ouverte, approfondie, et critique doit avoir lieu en Belgique et au niveau de l’Union européenne. En effet, des considérations diplomatiques et surtout politiques tendent souvent à prendre le dessus sur la quête d’un certain idéal de justice, qui se doit pourtant d’être sous-jacent à tout débat sur l’extradition.